C’est le jambon le plus cher du monde. Mais c’est le jambon emblématique de l’Espagne, et l’Espagne est le meilleur endroit qui soit pour y goûter. Il est tellement bon que même s’il n’y avait rien à voir ou à faire dans le sud-ouest de l’Espagne (ce qui n’est pas du tout le cas, loin de là), ce jambon est une raison suffisamment importante pour s’y rendre.
Il y a peu de choses sur notre planète qui soient aussi extraordinairement succulentes qu’une assiette de Jamon Iberico de Bellota coupé en fines tranches. Le jambon est affiné pendant au moins 12 mois. Il a une couleur rouge riche et foncée, marbré de bandelettes de graisse dorée.
Il doit être dégusté en tranches fines, à température ambiante (j’ajouterais volontiers aussi « et en grandes quantités », mais étant donné son prix, soit 200 € le kilo, l’idée des grandes quantités n’est sans doute guère envisageable pour la plupart d’entre nous).
Il n’a besoin de rien en garniture, si ce n’est un peu de pain frais. Il est moelleux, exceptionnellement luisant et brillant, et, avec son abondante graisse qui commence à fondre vers 20°C, il se dissout littéralement dans la bouche.
Alors, qu’est-ce qui fait que ce jambon est si savoureux? Et pourquoi coûte-t-il si cher ?
La réponse, c’est que le Jamon Iberico de Bellota est en gros la version espagnole du bœuf Kobé japonais, dont la viande provient de bœufs Wagyu abreuvés à la bière, massés au saké et auxquels tous les soirs au coucher on raconte des histoires et on chante des berceuses.
Les conditions pour obtenir un jambon d’une telle catégorie sont rigoureuses. Il faut du temps, et des glands. Beaucoup de glands.
Dans le sud de l’Espagne, et en particulier au sud-ouest, se trouve une région appelée la Dehesa, une vaste étendue qui possède son propre microclimat et où poussent en abondance les encinos, c'est-à-dire les chênes verts, ainsi que d’autres espèces de chênes : chênes noirs, chênes rouvres, chênes-liège.
Et comme tout un chacun le sait, les chênes produisent des glands : et ce sont ces glands (en espagnol, bellota) qui détiennent le secret de ce jambon considéré comme le meilleur au monde, et qui est l’un des mets le plus appréciés aux quatre coins de la planète.
La région abrite aussi d’énormes troupeaux de gros et gras porcs noirs ibériques, surnommés Pata Negra, du fait de leurs sabots noirs. Et la raison qui fait que le Jamon Iberico est si exceptionnellement délicieux (et je ne peux pas insister assez) c’est en raison de cette union parfaite et magique entre porcs et glands.
En effet, ces porcs noirs raffolent des glands. Ils les adorent. Ils s’en gavent littéralement, sans pouvoir s’en rassasier. Ils sont laissés en totale liberté à engraisser dans les pâturages de la Dehesa, où ils peuvent dévorer tout ce que bon leur semble.
Les glands dont ils se nourrissent ont une teneur élevée en graisse. Plus ils en consomment, plus les porcs ibériques grandissent et grossissent. Dans leurs derniers mois d’engraissage, ils dévorent jusqu'à 9 kilos de glands par jour.
La graisse savoureuse contenues dans les glands se fixe sur leur viande, qui présente en conséquence un taux élevé gras/muscle, d’où ces marbrures de graisse que l’on peut observer dans ce jambon.
C’est également aux glands que la graisse doit sa nuance dorée et foncée, sa sublime texture douce comme du beurre, et son incroyable saveur, douce, truculente, au goût de noisette, absolument incomparable. Oui mais, me direz-vous, toute cette graisse en plus est un véritable menace cardiaque servie sur une assiette, non?
La réponse est : non. En effet, plus de 55 % de la graisse du Jamon Iberico de Bellota est composée d’acide gras insaturé. C’est de cet acide gras dont sont formés les glands. Rappelons-nous le proverbe : "nous sommes ce que nous mangeons."
Le régime riche en glands des porcs ibériques transforme leur graisse animale en un acide gras monoinsaturé, bon pour la santé, un peu comme l’huile d’olive extra-vierge. C’est la composition de la graisse qui le rend si moelleux et fondant dans la bouche.
Pour résumer, le Jamon Iberico de Bellota est donc absolument délicieux et issu de porcs nourris en liberté et exceptionnellement bien traités… mais en plus, il est bon pour vous aussi. Comment est-ce possible ?
Ce n’est que rarement le cas, ce qui explique son prix. Comme on l’a vu, lorsque l’on sait que les meilleurs jambons de cette catégorie atteignent jusqu'à 200 € le kilo, vous ne risquez pas d’en manger des quantités phénoménales.
Mais vous pouvez tout de même claquer 15 à 20 € et vous en offrir 100 grammes, juste histoire de le goûter. Un bon conseil : ne faites pas votre dégustation si vous avez très faim, sinon vous le mangerez bien trop vite pour l’apprécier ! C’est un met à savourer lentement.
Si vous êtes un foodie passionné et que cet article a piqué votre curiosité, programmez-vous une expédition dans l’une des principales régions de production (beaucoup ne sont qu’à un peu plus d’une heure de Séville).
Faites une visite spéciale Jamon Iberico pour voir les dehesas, rencontrez les porcs, parlez à un éleveur (porquero) et jetez un œil dans les coulisses de la production.
Si vous avez un budget restreint qui ne vous permet pas de dépenser 15 ou 20 € pour 100 g de jambon, ne soyez pas trop triste : vous trouverez une foule d’excellents jambons et charcuteries en Espagne.
Pensez au bœuf Kobé : vous ne pouvez peut-être pas vous offrir un célèbre filet de vache japonaise Wagyu noire, mais ça ne vous empêchera pas commander un délicieux steak d’aloyau cuit à point et de n’en faire qu’une bouchée.
Jamon Serrano : Le Jamon serrano provient de la viande des porcs blancs locaux et non des porcs ibériques noirs. Son prix est loin d’être aussi élevé mais il reste succulent. Choisissez de préférence le jambon de Trevelez ou de Teruel, tous les deux délicieux et bien plus indulgents pour votre porte-monnaie que le Bellota fourni par cette caste privilégiée des cochons nourris aux glands que nous venons juste de découvrir.
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